La terre constitue le premier facteur de la production agricole. Ainsi, un pays disposant de potentiel foncier peut décider de faire de l’agriculture le moteur de son économie. C’est le cas de la plupart des pays africains qui mettent le développement agricole au cœur du développement économique et social de leur pays.
Cependant, contrairement au Brésil, aux Etats-Unis, à la Russie, à l’Union Européenne entre autres, qui ont su valoriser leurs terres pour assurer leur souveraineté alimentaire et même gagner des devises, la plupart des pays africains peinent à régler la question de la sécurité alimentaire à partir de la production domestique.
La moitié des terres agricoles inexploitées du monde se trouverait en Afrique. De vastes étendues de terres cultivables restent vierges. Les producteurs n’ont pas de moyens de les cultiver. L’agriculture africaine est rudimentaire, manuelle et pluviale. C’est un secret de polichinelle. Cette réalité est connue de tous les acteurs mais surtout de ceux qui s’y intéressent et souhaitent en tirer profit. La nature a horreur du vide. Dans cette perspective, les terres agricoles suscitent de plus en plus de convoitise.
En effet, certains acteurs aiguisent leur appétit pour la mise en valeur de ces terres agricoles inexploitées mais aussi peu sécurisées et dont la propriété est toujours en question. Loin de voler au secours de la sécurité alimentaire des populations africaines, plusieurs acteurs veulent exploiter les terres pour d’autres intérêts parfois inavoués.
Au titre des ceux-là qui lorgnent le capital foncier agricole des pays africains se trouvent :
– les pays asiatiques et arabes qui ne disposent pas suffisamment de terres cultivables et qui veulent nourrir leur population à partir des terres étrangers (maïs, riz,…) ;
– les pays occidentaux qui cherchent des alternatives aux énergies fossiles par la production de biocarburants (jatropha, canne à sucre, tournesol,..)
– les multinationales agroalimentaires qui veulent étendre leur hégémonie sur l’ensemble des maillons des filières agricoles y compris la production agricole afin de sécuriser leur approvisionnement en matière première agricole (mais, soja, blé, manguier, bananier,..)
– les géants du cosmétiques qui veulent désormais disposer de leurs propres plantations des essences médicinales qui entreront dans la fabrication des produits de beauté (karité, gingembre, camomille,…)
A cette velléité extérieure, s’ajoute aussi l’acquisition des terres par les nationaux. Il s’agit principalement des élites (cadres de l’administration publique comme privée, politiques, opérateurs économiques,…). Leurs intérêts sur les terres agricoles ne sont pas non plus pour aider les paysans. Ils veulent entre autres préparer la retraite ou l’héritage aux descendants, disposer d’une activité secondaire, investir pour une rente foncière, etc.
Cette foire d’empoigne que représente la terre agricole principalement en Afrique complique la vie aux pauvres paysans malmenés par la faim et la pauvreté. Perdant progressivement le contrôle sur leur patrimoine foncier, les paysans africains et surtout les jeunes deviennent des employés ou des métayers agricoles ou carrément s’éloignent de l’activité agricole pour s’installer dans les banlieues des grandes villes pour des activités précaires comme la conduite de taxi-moto, la manutention, le gardiennage, le démarchage…
Les actions des altermondialistes ont permis d’attirer l’attention sur l’ampleur du phénomène en dénonçant les graves dérives constatées dans certains pays africains. Néanmoins, force est de constater que la question de la gestion des terres agricoles reste toujours d’actualité. La législation foncière rurale, le code foncier et domanial, les pratiques coutumières coexistent et peinent à résoudre la question de l’accès équitable et de l’exploitation durable des terres rurales. Pire, des conflits fonciers subsistent dans certaines régions du continent entre races, entre pays, entre acteurs, entre populations, etc… au grand dam de la production agricole durable pour nourrir la population, réduire la pauvreté et baisser la dégradation de l’environnement et des ressources naturelles.
Une meilleure gouvernance foncière est donc indispensable pour non seulement préserver l’agriculture familiale, mais aussi assurer la sécurité et la souveraineté alimentaires. L’enjeu est de taille et tous les acteurs peuvent jouer leur partition pour empêcher les accaparements de terres et faire respecter les droits des populations rurales affectées ou menacées par le phénomène. Les investissements agricoles responsables ne doivent pas concerner exclusivement à notre sens, les acquisitions foncières à grande échelle par des investisseurs étrangers. Il passe également par la promotion d’une agriculture durable en réponse aux besoins alimentaires de la planète et au service de la réduction de la pauvreté.
Par Gilles Amoussou, Expert en politique agricole