Le 18 février 2022 s’est déroulée à Sokodé, la cérémonie officielle de lancement de la campagne 2022 d’achat et vente de la noix d’acajou. Au lendemain de la cérémonie, Mawuko Gozan, président du Conseil interprofessionnel de la filière anacarde du Togo (CIFAT) a accordé une interview exclusive à AgriTorch pour évoquer les attentes de la campagne, le fonctionnement de la filière ainsi que les objectifs du CIFAT.
AgriTorch : Monsieur Gozan, pouvez-vous nous présenter le CIFAT ?
Mawuko Gozan : Par sa définition, c’est le conseil interprofessionnel de la filière anacarde du Togo qui a vu le jour le 30 novembre 2016 à Sokodé. C’est un rassemblement des acteurs qui sont sur la même filière. C’est une fédération d’une chaine de valeurs avec un objectif, un but commun et l’intention de tirer la filière vers le haut.
Comment arrivez-vous à concilier les intérêts des uns et des autres ?
Nous fonctionnons sur la base d’une chaine de valeurs. Au sein de CIFAT, il y a 5 maillons ou familles. Le premier maillon c’est le maillon des pépiniéristes qui sont constitués en Conseil des pépiniéristes d’anacarde du Togo (COPAT). Nous avons la FNCPEA, la Fédération nationale des coopératives productrices d’anacarde du Togo. Nous avons 3 A-Togo, l’Association des acheteurs d’anacarde du Togo. Il faut également signaler ATAA, l’Association togolaise des transformateurs d’anacarde et nous avons aussi le CEFA qui est le Conseil des exploiteurs de la filière d’anacarde.
Les 5 maillons se sont réunis pour créer le Conseil interprofessionnel de la filière anacarde du Togo. Donc, le conseil est régi par des textes et ceux-ci, comme nous l’avons dit, ont des buts bien précis. Le principal, c’est le vivre-ensemble, tisser des partenariats gagnant-gagnant entre les 5 maillons de l’interprofession et promouvoir ainsi la croissance de la production de l’anacarde et créer de la richesse. Une fois que le partenariat gagnant-gagnant est tissé entre nous, les intérêts de chaque maillon ne sont plus mis en jeu.
La filière anacarde fait partie des filières porteuses au Togo. Parlez-nous des efforts accomplis par votre conseil pour le développement de la filière.
Le Conseil a fait des pas de géants, entre autres à travers la restructuration des faîtières composantes de l’interprofession. Les maillons ou familles sont organisés jusqu’à avoir un conseil d’administration. Donc, chaque maillon a son conseil d’administration chapeauté par un président. C’est le premier point. Nous avions eu, au sein de chaque maillon, à renforcer la capacité des membres, que ce soit en production, en amélioration des plants, en négociation et concrétisation au niveau des commerciaux afin que les acteurs puissent avoir connaissance du marché international là où vont certainement leurs produits.
Nous avions aussi discuté avec le gouvernement togolais, nos partenaires étatiques comme le ministère de l’agriculture, le ministère du commerce et de l’industrie, le ministère de l’économie et des finances, nos partenaires en développement comme la GIZ pour avoir un cadre de discussion et ce cadre a été créé par des arrêtés interministériels.
Le cadre de discussion, c’est le CCFA : c’est un cadre où nous réglons nos problèmes. C’est le comité de coordination de la filière anacarde qui est composé des ministres qui sont des co-présidents. Nous avons aussi le secrétariat exécutif qui est composé des directeurs : au niveau de l’agriculture, c’est le directeur du végétal et au niveau du commerce c’est le directeur du commerce qui constitue le secrétariat exécutif de la coordination de la filière anacarde. Cinq acteurs y représentent le CIFAT.
Donc voilà un cadre qui est créé et qui constitue une grande avancée. L’autre côté, c’est la régulation au niveau de la filière. Nous avons, d’un commun accord avec le ministère, discuté et convenu des bases de réglementation de la filière.
Ces bases ont été fixées par des arrêtés interministériels pour réguler les activités des acteurs. Aujourd’hui, on ne peut plus se lever au Togo pour dire je suis un exportateur ou acheteur. Il faut obligatoirement faire partie de la famille des exportateurs et avoir la carte et l’agrément d’achat pour pouvoir opérer sur toute l’étendue du territoire national et convoyer ses produits de l’intérieur vers la capitale.
L’exportateur, c’est celui qui fait partie de la famille bien connue et qui a l’agrément d’exploitation avant de pouvoir exporter ses produits de Lomé vers ses partenaires extérieurs. Chaque année, au sein de la filière, il se tient une rencontre très importante qui est le lancement officiel de la campagne de commercialisation. C’est dire qu’on ne peut pas se lever et dire que les noix tombent et puis on commence par ramasser pour aller vendre.
Il faut que l’interprofession en collaboration avec l’Etat togolais, organise ensemble ce qu’on appelle le lancement officiel de la campagne de commercialisation. Ce sont des avancées significatives, surtout au cours de ce lancement, nous avons aussi mentionné ce qu’on appelle une période moratoire. Cette période permet aux unités de transformation de s’approvisionner suffisamment en matière première avant que l’exportation ne commence.
Vous venez de lancer la campagne commerciale 2022 2023. On vous en félicite Comment se fait la fixation des prix et que fait le CIFAT pour le respect des prix fixés ?
Quand les gens viennent à cette campagne, la première des choses, c’est de venir écouter le prix de lancement. À quel prix le produit sera acheté ? Quelles sont les règles de conduite au cours de la campagne ? Qu’est-ce que nous faisons ? D’abord, les acteurs ont été formés sur le marché international, où vont nos produits d’abord ? Et dans quel port ? Comment les produits arrivés dans ces pays sont vendus ? Nous avons appris toutes ces gymnastiques aux acteurs. Et puis, nous sommes abonnés à des magazines spécialisés.
Nous avons aussi des partenariats avec nos pays frères comme le Benin, le Burkina-Faso, la Côte d’Ivoire qui sont des grands pays producteurs d’anacarde. Donc qu’est- ce qu’on fait à l’approche de la campagne ? Nous rassemblons toutes ces informations pour ne pas être en marge de ce que se fait.
Nous collectons des informations sur la filière en Afrique comme ailleurs et nous plantons ce décor et c’est après avoir donné ces informations sur la filière, que ce soit en Afrique ou ailleurs, que nous donnons les prix, les tendances sur les marchés internationaux. Ceci ouvre l’esprit aux participants et chaque famille propose maintenant le prix tout en tenant compte du coût d’exploitation.
On ne peut pas fixer les prix en ignorant le coût d’exploitation, de la production, de nettoyage des plants et, tout ce qu’on a payé sur le kilo.On fait les efforts pour que s le producteur aussi puisse tirer profit de son travail. Le commerçant qui est là, en payant le produit à tel prix, les couts qui ont affecté le kilo jusqu’à Lomé, le transformer lui aussi fait la même chose et l’exportateur qui paie de Lomé pour l’exporter estime les coûts qui vont affecter un kilo jusqu’au conteneur et combien lui aussi peut prendre pour qu’au finish il puisse tirer son intérêt. Voilà ce que nous faisons. Chacun propose son prix.
On fait la part des choses et on retient unanimement un prix du lancement et c’est le prix-là que nous soumettons à l’international. L’État ne nous fixe pas les prix des produits.C’est les acteurs eux-mêmes qui savent que nous avons produit come-ci et voilà comment nous allons vendre nos produits, comment nous allons pouvoir acheter pour vendre… parce que chaque chaine de valeur a ce qu’on appelle le seuil de rentabilité. Et c’est lors de cette grande réunion que nous fixons les prix sous forme d’accord interprofession et chaque président de maillon doit signer cet accord. Au cours de cette réunion, on présente également les textes de réglementation.
Pour le respect des dispositions pratiques, il n’y a pas d’inquiétude parce qu’elles sont surveillées par nos contrôleurs. Avant, les étrangers quittaient leurs pays et, arrivés à Lomé, ils rentrent à l’intérieur et partent directement auprès des producteurs avant d’aller exporter.
Cela n’arrangeait pas les togolais. Les textes de règlementations nous ont permis de barrer la route à ces mauvaises pratiques. Nous avons fait les choses comme suit : l’achat des noix ou les produits sont exclusivement réservés aux nationaux. La famille des 3A-Teogo nous avons dit que c’est cette association qui est habilité à collecter des noix auprès des producteurs, des coopératives et revendre ces noix-là aux exportateurs.
Nous sommes dans l’espace UEMOA et les prix varient d’un pays à un autre et on parle souvent de la libre circulation. Comment gérez-vous vous ces flux frontaliers ?
Les flux frontaliers constituent aujourd’hui un grand problème pour la sous-région et j’ai la chance de prendre part à plusieurs réunions internationales même la réunion des ministres sur les informations et sur la gestion de ces flux frontaliers. Je vous rassure que le problème est partout. Parce que sur certaines frontières tu ne sauras pas où est le Benin, où est le Togo, où est le Ghana, où est le Burkina. Vous prenez Aflao au Togo, c’est Aflao au Ghana ; au Burkina, il y a Burkina Cinkassé ; et vous arrivez au Benin il y a Hilakondji, de part et d’autre. Quelqu’un qui prend un sac ou deux sacs, il vient chez son prochain. Ce sont des choses qu’on ne peut jamais maitriser. Mais un camion qui charge un camion on lui demandera là où il va.
Le Togo est un centre de passation de nombreuses marchandises tout en sachant que certains pays du sahel doivent forcement faire passer leurs produits par le port de Lomé pour l’exportation. Ces produits comme la noix de cajou venant du Burkina, nous les considérons comme des produits en transit qui font des formalités douanières avant de rentrer. Ce sont des produits qui sont en transit et ça passe mais pour des petits produits qui passent d’une frontière à une autre c’est difficile de le maitriser. Nous avons pris quand même un certain nombre de mesures et nous sensibilisons les producteurs. Le risque n’est pas zéro.
Quelle est la prévision de la campagne 2022-2023 ?
Nous avons, au cours du lancement de la campagne, estimé la production nationale de la campagne 2022-2023 à 35 000 tonnes. La production a quasiment doublé et c’est grâce aux appuis de nos partenaires étatiques et privés et puis l’activité intense de nos acteurs qui sont conscients du développement de la filière au Togo.
Nous savons qu’il y a des producteurs pauvres dans les filières agricoles. Au niveau de votre organisation quelles dispositions spécifiques vous prenez pour les mettre à l’aise ?
Le producteur n’est pas pauvre mais c’est lui-même qui croit qu’il est pauvre. Il crée en lui cet esprit de pauvreté. Quelqu’un qui est assis sur l’or et demande du foin à manger et si je suis commercial sur la filière et c’est grâce à ta production que tu me vois que je suis riche. Je me demande pourquoi ce producteur ne peut pas se considérer plus riche quel’acheteur.
La richesse, ce n’est pas emmagasiner le bien matériel mais c’est de bien gérer sa vie.C’est d’accepter ce que tu fais et l’améliorer les rendements. Ce que nous avons fait au sein de la filière plusieurs années, c’est de les former à la bonne pratique agricole. Nous allons former les paysans sur les bonnes pratiques agricoles. C’est de les aider à planter de nouveaux plants qui ont un taux de rentabilité élevé qui donnent des produits de bonne qualité et de grande quantité qu’on appelle le Matériel Végétal Amélioré (MVA) que nous avons introduit dans la production d’anacarde du Togo.
Les anciens plants font jusqu’à 4 et 5 ans avant de produire mais les nouveaux plants produisent au bout de deux ans. Pour écourter le temps de production d’anacarde à leur niveau, nous leur avons appris aussi comment il faut faire l’anacarde et l’associer à d’autres produits qu’on appelle produits qu’on appelle cultures associées. Tu fais l’anacarde, tu lui associes au soja. En trois ans, le soja est exploitable et ainsi le coût de production d’anacarde sera amorti par la production du soja. Donc tu fais un champ à deux cultures. La récolte de la culture associée se fait sur au moins deux ans avant que l’évolution de l’anacardiern’empêche cetteculture associée.
Nous avons formé les producteurs également en Famer Business School(FBS).Concrètement sur comment entretenir les champs, comment vendre les produitsen vente groupée pourattirer les gros acheteurs.Quandles produits sont de bonne qualité et stockés en un seul lieu pour la vente après l’achat, l’acheteur accorde un bonus aux producteurs. Tout simplement parce qu’il a gagné en temps et en gain en lui évitant de se promener pour acheter les anacardes.Les acheteurs ont des problèmes de magasins.
Ils ont la culture mais ils ne savent pas où emmagasiner. Donc, il y a des magasins qui sont construits un peu partout pour les aider. On leur donne des outils pour la bonne pratique agricole, les bâches pour sécher les produits, les ciseaux pour bien tailler les arbres, comment faire les feux, comment entretenir. On a renforcé la capacité des producteurs d’anacarde togolais, pour que le producteur d’anacarde s’en sorte bien à la fin de la campagne.
La Covid19 a-t-elle affecté la production d’anacarde ?
La filière anacarde a été touchée par les effets de la Covid comme tous les autres produits, comme les autres filières et les marchés. C’est une maladie mondiale, cela a vraiment touché la filière. Nos produits ne sont pas consommés au Togo, ce sont des produits de rente. C’est un produit que les togolais n’ont pas l’habitude de consommer.
Donc les 95% voire les 98% de nos produits sont exportés et quand on parle d’exportation, c’est la mondialisation.Quand le pays destinateur est touché tes produits ont de problème surtout là où vont les produits togolais, c’est l’Inde. Vous avez appris comment l’Inde a été fortement touchée par la pandémie à coronavirus. Cela a fortement affecté l’activité de l’anacarde parce que les grands conteneurs viennent de ce pays.
Les Indiens ont un système d’activité. En venant, ils mettent le riz et plusieurs marchandises dans les conteneurs. Une fois en Afrique, ils vendent les marchandises et embarquent à leur place les produits comme l’anacarde. De ce fait, quand la pandémie s’est accentuée avec toutes les restrictions, qui pouvait encore faire au commerce ? Du coup, nos produits sont bloqués dans les magasins et cela a agi sur le pouvoir d’achat.Le prix à l’international a chuté. On a été véritablement touché. Nous n’avons pris des dispositions où l’État vole au secours des agriculteurs lorsque le marché est secoué par une crise.
Comment la coordination a su soutenir les producteurs ?
Au niveau de l’interprofession, nous avons fait une tournée de sensibilisation pour suggérer aux producteurs de libérer les produits au prix proposé par l’acheteur, parce que ce n’est pas du maïs que l’on peut écraser et faire la pâte. C’est un produit qu’on ne consomme pas et étant donné que même si vous vendez vos produits à 250 francs, vous avez déjà tiré votre profit, on n’a pas le droit de garder les produits sous la main en attendant l’année prochaine. Le message est passé et tout a été vendu.
Qu’est ce qui fait la spécialité de l’anacarde togolaise ?
Je peux dire que c’est la qualité de nos produits. La formation, le renforcement des capacités, les bonnes pratiques agricoles que nous avons inculquées aux agriculteurs ont fait que nous avons des produits de bonne qualité. Aussi c’est la mise en pratique de ses mesures agricoles avec l’introduction de nouvelles techniques et de nouveaux plants. C’est pour cela que le Togo est identifié comme un pays producteur de noix d’acajou de qualité.
Qu’attendez-vous des partenaires indirects?
Pour ces acteurs indirects, nous les invitons à redoubler d’effort. Les bases sont jetées.Il faut que chaque acteur direct, producteur, exportateur mette en pratique toutes ces recommandations disséminées au cours des différentes sessions de formation.
Qu’attendez-vous des partenaires directs ?
C’est de les inviter à continuer à nous soutenir et l’appui qu’ils ont toujours apporté à la filière et d’assouplir aussi les formalités. L’Etat a cette administration très lente parfois et qui est contraire à l’esprit des acteurs. Ceux-là veulent que quand on demande quelque chose qu’elle soit vite donnée. C’est des hommes d’affaire, ils veulent que les choses aillent vite. Le rythme des hommes d’affaire est un peu diffèrent du rythme du fonctionnement de l’administration publique. Que ce cadre soit encore redynamisé pour que nos doléances qui sont sur la table trouvent des réponses assez vite.
Interview réalisée par Tigossou Midas