Le niébé ( Vigna unguiculata ) est une culture indigène et de base en Afrique subsaharienne, mais il a un ennemi : un insecte appelé foreur des gousses ( Maruca vitrata ). Ce ravageur peut entraîner des pertes de rendement de plus de 80 %. Originaire d’Asie du Sud-Est, le foreur des gousses attaque les fleurs, les gousses et les graines.
Les variétés conventionnelles de niébé manquent de résistance à l’insecte. L’insecticide est la principale mesure de lutte, ce qui augmente les coûts et les risques environnementaux et sanitaires.
Nous sommes des chercheurs de différents instituts de recherche spécialisés en biotechnologie végétale. Nous collaborons depuis près de 20 ans au Ghana, au Nigéria, au Burkina Faso, en Australie et aux États-Unis pour développer un niébé résistant au foreur des gousses. Le résultat est une variété de niébé génétiquement modifiée (GM), connue sous le nom de Songotra-T.
Le Ghana a officiellement approuvé la commercialisation de cette variété en 2024. Il s’agissait de la première autorisation de culture génétiquement modifiée du pays, après le succès du niébé résistant au foreur des gousses au Nigeria. Dans ce pays, elle a été approuvée en 2019 et commercialisée sous le nom de Sampea 20-T en 2020.
Nos recherches récentes menées dans le nord du Ghana ont démontré que Songotra-T est résistant au foreur des gousses de légumineuses et offre des avantages environnementaux et économiques.
Nos essais en champ ont évalué les performances du niébé OGM par rapport à trois cultivars conventionnels : Songotra, son équivalent non OGM, et deux autres cultivars, Kirkhouse-Benga et Wang-Kae. Nous avons confirmé que Songotra-T a atteint un rendement moyen en grains de 2 534 kg/ha. Ce rendement est supérieur à celui des variétés conventionnelles, dont le rendement se situait entre 1 414 kg/ha et 1 757 kg/ha. L’analyse économique réalisée par notre équipe a montré que Songotra-T offrait le meilleur retour sur investissement (464 %), démontrant ainsi le potentiel des biotechnologies pour améliorer la productivité agricole. Il garantit également la rentabilité pour les petits exploitants agricoles, souvent dotés de ressources limitées.
Essais sur le terrain au Ghana
Les essais ont été réalisés sur une seule saison de croissance, sur quatre sites représentatifs de la zone de culture du niébé au Ghana. Le nord du Ghana est une importante région productrice de niébé , caractérisée par un système de culture pluviale et une forte pression parasitaire. L’équipe a testé la résilience du Songotra-T en conditions agricoles réelles, en utilisant des protocoles expérimentaux répliqués et des méthodes statistiques afin de garantir la fiabilité de la collecte de données et des résultats.
Nous avons découvert que Songotra-T réduit de 80 % le recours aux insecticides. Cela diminue les coûts de production et les risques sanitaires pour les agriculteurs et les consommateurs liés à l’exposition aux produits chimiques toxiques. La diminution des applications d’insecticides contribue également à préserver les populations d’insectes utiles tels que les araignées et les coccinelles, qui jouent un rôle essentiel dans la lutte naturelle contre les ravageurs.
Ces avantages environnementaux renforcent la durabilité de ce niébé génétiquement modifié comme alternative aux stratégies traditionnelles de lutte antiparasitaire. Les économies d’insecticides et l’augmentation du rendement se traduisent par un avantage financier.
Nous ne connaissons pas le prix des semences OGM, car il sera fixé par les semenciers locaux en fonction de la demande et de l’intérêt suscité. Cependant, les économies de produits chimiques et l’augmentation des rendements devraient compenser toute hausse du coût des semences.
Des variétés génétiquement modifiées de cultures telles que le maïs, le soja et le coton ont été cultivées avec succès dans le monde entier. Nos résultats montrent que cette biotechnologie moderne peut contribuer à réduire l’insécurité alimentaire au Ghana en augmentant le rendement d’une culture de base majeure.
Acceptation et réglementation
La décision du Ghana de commercialiser Songotra-T renforce les arguments en faveur d’une adoption plus large de cette biotechnologie dans la région.
Cette autorisation réfute le scepticisme antérieur quant à la capacité du Ghana à donner suite à son feu vert réglementaire initial en 2022. Des inquiétudes ont alors été soulevées quant aux obstacles réglementaires et à l’acceptation du public. Malgré les inquiétudes des groupes anti-OGM, l’Organisation mondiale de la Santé considère que « les aliments génétiquement modifiés actuellement disponibles sur le marché international ont passé avec succès les évaluations de sécurité et ne sont pas susceptibles de présenter de risques pour la santé humaine ».
Cette initiative du Ghana démontre que les pays africains peuvent prendre des décisions en matière de biotechnologie agricole en fonction de leurs besoins et de leur contexte spécifiques. Elle peut inspirer d’autres pays à explorer et à adopter des approches scientifiques similaires pour relever leurs défis agricoles.
Il reste encore beaucoup à faire pour développer des systèmes efficaces de production et de distribution de semences afin de fournir cette nouvelle technologie aux agriculteurs ghanéens. Cela doit se faire à une échelle qui crée un impact significatif. L’implication continue des partenaires internationaux de développement pourrait être nécessaire pour combler l’écart entre innovation et impact. Mais cette décision appartient aux décideurs politiques ghanéens.
Jean B. Tinegre de l’African Agricultural Technology Foundation et Donald J. Mackenzie du Donald Danforth Plan Science Center faisaient également partie de l’équipe de recherche.