La généticienne Jeanne Zoundjihekpon a dédié sa vie à la recherche et à l’action, pour protéger les biens communs et promouvoir des pratiques agricoles durables et respectueuses de la biodiversité africaine.
« J’ai toujours voulu devenir généticienne en partie à cause de mes racines rurales. Mon père était paysan-horloger dans le village de Ouanho, situé dans le Sud-Est du Bénin, tandis que ma mère était transformatrice de produits agricoles, dans le village de Tchakla.
Dès la terminale, j’ai développé une passion pour la génétique. Les lois de Mendel m’ont captivée et inspirée dans mon parcours académique. J’ai décidé de poursuivre mes études en Côte d’Ivoire, où j’ai eu l’honneur d’obtenir deux doctorats en génétique et amélioration des plantes et où j’ai exercé en tant que généticienne à l’Université nationale.
Au début des années 1990, alors que je rédigeais ma thèse, s’ouvraient les négociations internationales autour de la Convention sur la Diversité Biologique (CDB) qui fut signée en 1992 à Rio de Janeiro.
Touchée par les questions de droit de propriété intellectuelle et des brevets déposés sur les ressources génétiques originaires d’Afrique, j’ai rapidement pris position contre les Organismes génétiquement modifiés (OGM), convaincue de la nécessité de protéger les ressources génétiques africaines.
Ma motivation était d’honorer mon père paysan, ma mère transformatrice, et tous les paysans et paysannes de ma communauté, les Tollinous, en leur restituant ce que j’avais reçu d’eux.
C’est ainsi que je suis devenue militante, expliquant les enjeux et les défis liés à la CDB, ainsi que les impacts négatifs des OGM sur l’agriculture et l’alimentation. Au début, mon engagement militant a été perçu très négativement par mes pairs. J’ai été marginalisée pendant de nombreuses années. Mais cela n’a fait que renforcer ma détermination.
Un de mes principaux arguments était que la biodiversité du continent n’était pas encore su‑samment étudiée et exploitée pour être abandonnée au profit des OGM.
J’ai intégré l’Université d’Abomey-Calavi au Bénin en 2004, puis j’ai créé le Laboratoire de Génétique Écologique au Département de Génétique et des Biotechnologies de la Faculté des Sciences et Techniques. J’ai alors approfondi les recherches sur la génétique et la biologie de la reproduction sexuée des ignames.
En tant que chercheuse, je suis convaincue que nous devons être des acteurs actifs dans la société. La science n’est pas neutre, et ceux qui partagent cette vision doivent s’engager pour influencer positivement notre avenir.
Néanmoins, l’engagement civil doit respecter les choix individuels, chacun ayant la liberté de contribuer à sa manière.
Au cours de ma carrière, naviguant entre le monde scientifique universitaire, les organisations paysannes, les ONG et le monde politique, j’ai rencontré de nombreux défis et rapports de force à plusieurs niveaux.
En janvier 2004, avec Inades-Formation, Enda Pronat, Grain et des intellectuels africains, nous avons créé la Coalition pour la Protection du Patrimoine Génétique Africain (Copagen) pour dire « Non aux OGM » dans l’agriculture et l’alimentation.
Les scientifiques et les leaders d’ONG ont assuré des formations dans chacun des neuf pays concernés pendant plusieurs années.
Nous avions sensibilisé la Banque Mondiale en 2010 et, en 2011, l’UEMOA contre l’utilisation du coton Bt au Burkina Faso, coton génétiquement modifié qui s’est avéré désastreux.
Pour un dialogue constructif avec les politiques, le plaidoyer basé sur l’utilisation des informations scientifiques avérées est une stratégie militante qui a porté ses fruits, tout comme le réseautage entre scientifiques, organisations paysannes et ONG à différents niveaux.
Comment la recherche peut-elle combler l’écart entre pratiques innovantes et politiques alimentaires ? Cela dépend des politiques nationales d’enseignement supérieur, de recherche scientifique dans les universités africaines et de la recherche agronomique dans chaque pays, car ce sont elles qui conduisent à des innovations dans les domaines agricoles et alimentaires. La recherche joue également un rôle crucial en faisant le pont entre les différents acteurs et en œuvrant pour une meilleure vulgarisation.
Toutefois, cette vulgarisation demande un travail de terrain et doit s’adapter à chaque contexte.
Dans le cas de l’innovation issue de mes travaux de recherche sur l’igname, notamment la création variétale à partir des graines, les jeunes diplômés peuvent devenir des entrepreneurs agricoles en créant de nouveaux cultivars d’ignames à partir des semis de graines récoltées dans les champs des producteurs.
Il est essentiel que mes travaux de recherche bénéficient aux jeunes Africains ruraux. Mon dernier livre, « L’igname, une plante noble au futur pluriel » (Editions Ruisseaux d’Afrique), propose des fiches techniques pour la création de nouveaux cultivars d’ignames adaptés aux différentes zones agroécologiques du continent, résistants aux maladies (viroses, anthracnoses, bactérioses, etc.) et possédant de nouvelles caractéristiques organoleptiques.
Si un pays ou un laboratoire national veut améliorer la plante en passant par la culture des grains de pollen in vitro, la culture des fleurs femelles ou la réalisation des fécondations in vitro, c’est une avancée biotechnologique acceptable.
Pour accompagner la transformation des systèmes alimentaires durables et résilients, les biotechnologies ont certainement un rôle à jouer, à condition qu’elles respectent les droits des paysans. En ce qui concerne la souveraineté alimentaire, il n’y a aucune place pour les organismes génétiquement modifiés : non aux OGM dans l’alimentation!
Cependant, si un pays souhaite promouvoir le micro-bouturage in vitro des plantes alimentaires, il n’y a aucun problème ; cultiver le manioc, l’igname ou l’ananas par micro-bouturage in vitro sont des biotechnologies bénéfiques pour les paysans, à condition que les chercheurs et les producteurs travaillent main dans la main et dans le respect mutuel. »
Revue Grain de sel