Emile Frison membre fondateur du panel IPES-Food (International Panel of Experts on Sustainable Food Systems), conseiller principal de l’Agroecology Coalition, et expert en agroécologie et en biodiversité agricole décrypte les freins à la mise en place de politiques agricoles durables et plaide pour une recherche participative.
Revue Grain de sel: À quels défis est confrontée la recherche agricole en Afrique de l’Ouest ?
Emile Frison : La flambée des prix alimentaires qui a suivi la pandémie de COVID-19 et la guerre en Ukraine ont ravivé les discours sur la nécessité de « nourrir la planète ». Cet intérêt est suscité par les entreprises agroalimentaires, les investisseurs et les gouvernements étrangers et se manifeste à travers le déploiement de nouvelles stratégies visant à débloquer et à s’approprier les terres agricoles.
Les défis qui pèsent sur les systèmes alimentaires et agricoles rendent plus crucial que jamais la garantie d’un flux continu de connaissances et d’innovation. La recherche agricole est particulièrement importante pour l’Afrique de l’Ouest, où les menaces climatiques sont immédiates et où l’insécurité alimentaire reste élevée. Mais encore faut-il que la recherche soutienne la transformation vers une agriculture durable et équitable et non pas le développement d’une agriculture qui accroît la dépendance des agriculteurs par rapport aux marchands d’intrants importés et qui n’est pas durable.
GDS : Comment expliquer la non-durabilité des systèmes en place ?
Emile Frison : Les politiques agricoles sont encore trop souvent influencées par les marchands d’intrants chimiques qui sont en faveur d’une expansion du modèle industriel d’agriculture focalisée sur les cultures de rente, aux dépens de cultures vivrières diversifiées nécessaires à une alimentation saine. En e et, à ce jour, les investissements publics et privés dans l’agriculture ouest-africaine se dirigent encore principalement vers l’agriculture d’exportation, les secteurs à forte valeur ajoutée et les agropoles. Ces modèles agricoles se retrouvent renforcés par de nombreux facteurs, allant de la volonté d’exporter des marchandises pour obtenir des devises étrangères et rembourser les dettes publiques, à l’utilisation de fonds publics pour encourager les investissements privés (partenariats public-privé, montages financiers mixtes).
De plus, les États ouest-africains sont encore largement tributaires de bailleurs étrangers pour financer leurs programmes de recherche. Ils doivent souvent se conformer à l’agenda stratégique de ces derniers, en particulier d’une poignée d’importants donateurs internationaux.
En parallèle, les exploitants familiaux, et en particulier les femmes, peinent à accéder aux crédits et aux innovations dont ils auraient besoin pour améliorer leurs systèmes de production vivrière et contribuer à une plus grande sécurité alimentaire.
GDS : Quel est le rôle à jouer pour la recherche ?
Emile Frison : L’agroécologie apparaît comme une réponse pertinente et viable pour relever les défis auxquels l’Afrique de l’Ouest est confrontée, et une alternative crédible à l’agriculture industrielle, encore trop souvent proposée comme stratégie de développement. L’agroécologie est innovante et préconise un mariage entre les connaissances scientifiques et les savoirs paysans. Ceci implique un changement significatif des systèmes de recherche vers une recherche participative et une co-innovation et un soutien aux processus d’apprentissage paysan-à-paysan et intergénérationnels qui sont particulièrement bien adaptés au tissu social et au contexte économique ouest-africains.
Mais le déclin et la baisse des financements alloués aux services publics de vulgarisation agricole constituent un frein majeur au développement de l’agrécologie dans la région. Le financement total de la recherche, de l’éducation et de la vulgarisation agricole est en stagnation et ne représentait que 14 % de Emile Frison, membre fondateur d’Ipes Food et expert en biodiversité agricole, plaide pour une recherche participative qui implique les organisations paysannes dans la mise en œuvre de la transformation agroécologique. L’aide publique au développement consacrée à l’agriculture en Afrique en 2017.
Le lobbying des multinationales et les politiques agricoles qui favorisent une agriculture de type industriel, représentent des obstacles importants à une transformation agroécologique. Un autre obstacle est le manque de reconnaissance des systèmes semenciers paysans, au sein desquels les agriculteurs sélectionnent, multiplient, conservent et échangent un large éventail de semences qui représentent entre 75 % et 90 % des variétés cultivées en Afrique de l’Ouest. Piliers de l’agroécologie, ces systèmes sont garants de la diversité génétique du patrimoine cultivé. Cependant, ils sont faiblement protégés par les cadres juridiques et politiques. Ils se retrouvent relégués dans l’informel et sont parfois rendus illégaux. Par contraste, les systèmes semenciers privatisés, soutenus par de nombreux donateurs et industriels, gagnent du terrain.
Relever les nombreux défis auxquels sont confrontés les systèmes alimentaires en Afrique de l’Ouest et assurer une souveraineté alimentaire nécessitent une réorientation importante des politiques agricoles et alimentaires avec une accélération de la transformation agroécologique, en impliquant et soutenant les organisations paysannes dans la mise en œuvre de cette transformation.
Cela nécessite également une transformation des systèmes d’éducation, de conseil aux agriculteurs et une recherche participative qui permette la co-innovation avec eux.
Revue Grain de sel