Margo, Emma, Roméo et Thomas sont en séjour au Togo dans le cadre d’un stage au sein de l’association humanitaire Alpha B Togo. Du 19 mai au 6 juillet passé, ils ont visité plusieurs sites agro-écologiques. Ils ont des avis partagés sur la pratique de l’agroécologie au Togo. Entretien!
Présentez-vous à nos lecteurs ?
Margot : J’ai 23 ans, je suis étudiante Ingénieur Agronome à l’école d’agronomie de Montpellier en France. J’ai orienté ma formation vers l’agroécologie et particulièrement vers le maraîchage agroécologique. En septembre, j’intègre un Master tourné vers les systèmes agricoles tropicaux durables.
Emma : J’ai 23 ans, je suis étudiante Ingénieur Agronome à l’école d’agronomie de Paris. J’ai orienté ma formation vers l’agroalimentaire et j’intégrerai en septembre un master tourné vers la conception de produits.
Roméo: J’ai 22 ans et je suis étudiant en agronomie à l’école de Paris. J’ai orienté ma formation vers la gestion de la ressource en eau pour l’agriculture, thème dans lequel je ferai mon master 2 l’année prochaine.
Thomas: J’ai 22 ans et comme tous je suis étudiant ingénieur agronome et plus précisément à Paris. Je me spécialise en production végétale et c’est ce que je vais étudier l’année prochaine en master 2.
Quel est l’objet de votre présence au Togo avec les visites agricoles ?
Nous sommes au Togo pour réaliser un stage de trois mois au sein de l’Association Alpha B Togo. Alpha B Togo est une association basée à Segbé, Lomé, qui œuvre dans les domaines de l’éducation et de la santé pour les enfants de son quartier, ainsi que pour l’environnement et l’agriculture avec la mise en place d’un champ agroécologique à Tovégan. Le champ a pour objectif de produire une alimentation saine et variée aux enfants de l’association ainsi que de diffuser les pratiques agroécologiques sur son territoire. La parcelle fait 4ha. Aujourd’hui 1ha est cultivé, avec des cultures vivrières (maïs, igname, manioc, arachides, niébé), quelques cultures maraîchères et une cinquantaine de fruitiers. A terme, l’idée est de défricher davantage pour organiser des rotations entre cultures annuelles et cultures pérennes, et d’introduire des volailles et des petits ruminants dans le verger. C’est dans le cadre de ce projet que nous avons réalisé des visites dans d’autres fermes agroécologiques, membres du RéNAAT : le Réseau National des Acteurs de l’Agroécologie au Togo.
- la ferme de Sichem à Lomé
- la ferme d’Aménopéé vers Agou
- la ferme de Gaplong vers Kévé
- la ferme de Degnigban à Badja
- la ferme Homme & Nature vers Kévé
Nous avons également visité les jardins maraîchers du front de mer à Lomé.
Après les visites des fermes agricoles, quelles sont vos premières impressions ?
Les fermes agroécologiques sont de très belles fermes, qui ont su relever le défi de mettre en place des systèmes de production efficaces et respectueux de la santé et de l’environnement. La diversité de leur production (cultures vivrières, maraîchage, élevage, arboriculture) leur assure autonomie et résilience, ce qui en fait des fermes durables et inspirantes.
Quelles idées aviez-vous de l’agriculture togolaise avant de venir au Togo ?
Une agriculture familiale sur petites surfaces, peu mécanisée et principalement vivrière. Nous avions entendu parler des problèmes liés à l’exode rural et nous savions que l’utilisation des pesticides et des engrais de synthèse était assez importante au Togo.
Quelles observations faites-vous de ce qui se fait dans l’agriculture après vos visites ?
Nos visites et nos différents déplacements dans le pays nous ont permis de découvrir une partie de l’agriculture togolaise. Les idées que nous nous faisions avant d’arriver se sont plutôt confirmées. La plupart des fermes sont de petites fermes dont la main-d’oeuvre est principalement familiale. La mécanisation reste très faible avec une faible diversité d’outils et l’absence de motorisation (motoculteur, tracteur). Nous avons pu constater que la population agricole est vieillissante et que peu de jeunes semblent s’intéresser à l’agriculture. Nous avons également pu constater une forte utilisation des produits chimiques par la plupart des cultivateurs, mais aussi le développement de l’agroécologie par certains qui sont conscients des effets néfastes de ces produits et souhaitent développer une agriculture naturelle comme celle de leurs grands-parents.
Qu’est-ce qui vous a plu et déplu dans vos visites ?
Les fermes agro écologiques que nous avons visité nous ont énormément plu. Les responsables des fermes sont pleinement conscients des enjeux environnementaux et sanitaires auxquels fait face le Togo du fait d’une très forte utilisation des pesticides et souhaitent changer les choses, tout d’abord en appliquant les principes de l’agroécologie dans leurs fermes et ensuite en diffusant ces pratiques auprès des cultivateurs alentours. Les pratiques qu’ils mettent en place (paillage, production de compost, fabrications d’engrais et d’insecticides naturels, rotations et associations culturales durables, utilisation raisonnée de la ressource en eau, conservation de la biodiversité) font leurs preuves et leur volonté de les partager est une force pour l’avenir de l’agriculture Togolaise.
La faible diversité d’outils utilisés nous a surprise (machette, houe et daba). La très forte utilisation des pesticides et des engrais chimiques par certains cultivateurs qui ne connaissent pas les effets néfastes de ces produits sur l’environnement et la santé nous a fortement déplu.
Parlez-nous de l’agriculture française brièvement ?
L’agriculture française a connu les mêmes problématiques que l’agriculture togolaise dans les décennies précédentes (depuis les années 60), avec une forte baisse de la main d’œuvre agricole et l’utilisation massive des intrants chimiques. Cela a entraîné de très gros problèmes sur la santé et l’environnement. La biodiversité, indispensable à la vie, a fortement chuté, les nappes d’eau ont été polluées, les sols sont devenus stériles. Face à ces constats, la France a engagé une transition agricole depuis une quinzaine d’années, avec le développement des filières bios. Les médias ont fortement participé à la sensibilisation de la population ces dernières années et aujourd’hui les gens veulent consommer des produits naturels respectueux de la santé et de l’environnement. La volonté des consommateurs a permis aux agriculteurs de changer leurs pratiques et de se tourner de plus en plus vers l’agroécologie. Malheureusement cela ne concerne pas tout le monde mais on constate tout de même un vrai changement depuis quelques années.
Traditionnellement, les exploitations françaises sont de très grosses exploitations, s’étendant sur plusieurs centaines d’hectares, très mécanisées et très spécialisées (n’ayant que un type de production : céréales, ou lait, ou viande, ou légumes, ou fruits…). Ces modèles présentent des limites en termes de durabilité, d’impact sur l’environnement et de niveau de vie des agriculteurs. Aujourd’hui, les modèles à privilégier pour répondre aux enjeux environnementaux et sociaux sont plutôt des petites fermes diversifiées et peu mécanisées, répondant aux principes de l’agroécologie. Finalement, ça se rapproche des fermes agroécologiques togolaises que nous avons visitées !
Quelles pratiques peut-on importer de chez vous en minimisant les coûts ?
De nombreuses pratiques agroécologiques peuvent être mises en place au Togo et elles le sont déjà dans les fermes agroécologiques.
Le paillage est une technique très simple et non coûteuse, qui consiste à mettre de la paille ou tout autre type de résidus végétaux, au pied des arbres ou au pied des cultures maraîchères pour conserver l’humidité du sol. Cette technique permet d’économiser la ressource en eau et de préserver la vie du sol (micro-organismes indispensables au bon fonctionnement du sol).
Le compostage est également une technique très intéressante qui permet une autonomie en fertilité.
La production de purins à base de différents végétaux est également une technique peu coûteuse qui permet de lutter contre certains ravageurs et maladies et apporte des éléments essentiels aux cultures.
L’association de certaines espèces bénéfiques les unes pour les autres sont également à étudier. Par exemple, en France on associe beaucoup les salades aux oignons, car les oignons poussent certains ravageurs. Une autre association qui fonctionne bien est celle du haricot avec le maïs et les courges. Il est également très intéressant de mettre des volailles et des petits ruminants dans les vergers.
Seriez-vous prêt à travailler au Togo après vos études si l’occasion s’offrait ?
Margot : Je pense que je serais prête à y travailler pour une mission d’un an, dans le cadre de projets agroécologiques, avec le RéNAAT par exemple ou d’autres acteurs de l’agroécologie. C’est un pays où je me sens bien, en sécurité et très bien accueillie par les togolais. De plus, les nombreux enjeux agricoles auxquels fait face le pays sont intéressants.
Roméo : C’est une idée qui m’a traversé l’esprit, le Togo étant un pays particulièrement accueillant. Comme Margot, je pourrais envisager un séjour d’un an pour commencer et pourquoi ne pas revenir en mission dans le pays!
Emma: Si l’occasion se présentait, je pense que je serais partante. La vie au Togo m’a vraiment plu et je me suis très bien acclimatée à la culture togolaise. Je reste cependant très attachée à la France, j’aurais du mal à travailler très longtemps dans un pays si loin de chez moi.
Thomas : Pour l’instant je n’ai pas de vision à long terme après mes études, mais j’aimerais bien faire de la recherche en France. Mais pour après je ne ferme aucune porte.
Quelle filière vous a marqué au Togo et pourquoi ?
Margot : la filière Soja, dont j’ai pu discuter avec un ami togolais, m’a marquée. En effet, le soja produit au Togo est quasiment uniquement destiné à l’export pour nourrir le bétail européen. Ce sont donc des hectares et des hectares exploités de manière intensive à moindres coûts, présentant de nombreux effets néfastes pour l’environnement et la santé et ne permettant pas toujours aux agriculteurs de tirer un salaire décent, et qui ne sont même pas destiné au pays.
Roméo : la filière cacao m’a particulièrement marqué. Le Togo est situé dans une zone extrêmement favorable à la production du précieux fruit et, pourtant, n’exploite que très peu celui-ci. Cette filière pourrait apporter un important développement social et économique. C’est donc un manque à gagner pour le pays.
Avez-vous déjà visité certaines exploitations agricoles africaines ?
Nous n’avons pas pu visiter d’autres exploitations que celles au Togo.
Travaillez-vous sur un projet de mémoire ou autre lié à l’agriculture togolaise ?
Nous travaillons actuellement sur un rapport pour recenser toutes nos actions et nos projets concernant la ferme d’Alpha B Togo à Tovégan.
Quels sont les moments mémorables de vos visites ?
Emma : Nos visites étaient toutes très intéressantes. Les togolais nous ont très bien reçu et nous les remercions pour la pédagogie dont ils ont su faire preuve. Il était très intéressant de découvrir les techniques qu’ils ont mis en place pour développer des systèmes performants et agroécologiques. Ces visites nous ont permis d’avancer dans notre projet plus vite que si nous ne les avions pas faites. Les informations collectées seront pour la plupart utilisées dans notre rapport et dans notre projet à Tovégan.
Thomas : Les visites sont très intéressantes. Découvrir l’agroécologie au Togo est une belle opportunité pour nous. Nous pouvons découvrir qu’avec des alternatives aux produits phytosanitaires et aux engrais de synthèses de beaux projets sont réalisables. Ces projets sont de plus portés par des personnes très enthousiastes pour partager leur savoir et leurs expériences, ce qui est motivant pour le travail sur la parcelle de Tovégan.
Roméo : Nous étions très surpris de découvrir à quel point l’agro-écologie est développée au Togo. En France, nous entendons souvent parler du Mali, du Burkina ou de la Côte d’Ivoire mais jamais du Togo. Nous avons découvert ici des projets extrêmement poussés à travers les exploitants du RéNAAT. Plus largement, l’agriculture de rente n’est pas très développée au Togo et c’est surtout la vivrière qui prédomine. Malheureusement, le Togo n’est pas épargné par la surutilisation des intrants chimiques et ses conséquences sur la qualité des aliments et l’environnement. Mais des acteurs comme le RéNAAT et Alpha B Togo sont ici pour présenter l’agro-écologie et ses bénéfices.
Propos recueillis par Tigossou Midas